Remplir la Forme
    
Après avoir appris une Forme, arrive le moment de l’approfondir au travers de l’application des principes du Taiji Quan, dans chacun de ses mouvements.
Imaginons le Taiji Quan dans son ensemble, avec ses Formes, ses techniques et principes. Si on le comparait avec un œuf, la Forme serait la coquille.
La première chose dont nous avons besoin pour pouvoir travailler, c’est d’une structure sur laquelle appuyer les théories et les principes de notre art. La Forme, si possible simple à apprendre, est là pour remplir ce rôle préliminaire.
Pour la majorité apprendre une Forme est le seul but, et dans le meilleur des cas ce que l’on arrivera à obtenir sera une coquille parfaite, mais vide. Le rôle du professeur, une fois obtenue cette « coquille » est de la remplir, et dans notre cas ce sera avec tous les principes reflétés dans les Classiques, les applications, l’énergie….en définitive, ce qui est réellement  important.
Par exemple, une méthode facile à suivre est d’analyser les dix points importants pour la pratique du Taiji Quan dictés par Yang Chen Fu. Le premier dit que « l’énergie du sommet du crâne doit être légère et sensible ». Comme explique Yang Chen Fu, cela équivaux a maintenir une posture où la sensation ressentie donne l’impression d’être suspendu par les cheveux, juste au sommet du crâne. L’application de ce point donne un effet surprenant. Quand on aligne le corps, ce qui s’obtient de façon naturelle en étant en permanence suspendu,  l’axe du corps passe par notre centre de gravité, éliminant les inconfortables passages en force lors des rotations. De plus, cela fourni une sensation de légèreté et d’équilibre notables qui, lors de la pratique à deux, nous montre de façon instantanée toutes les déficiences de notre technique, et cette agréable sensation  disparaît subitement dès que l’on abandonne la posture correcte. A  contrario, si nous réussissons à maintenir cette sensation, notre travail en est récompensé par le succès.
Personnellement, je commence l’étude de ce point par la pratique de Zhan Zhuang (la posture de l’arbre), mais en douceur, avec des postures hautes et peu ouvertes.
Je montre comment apparaît cette nouvelle sensation en centrant et positionnant correctement la tête sur les épaules, le menton rentré, en alignant les épaules avec les hanches, en positionnant correctement le bassin dans l’alignement de la colonne, en relâchant rentrant la poitrine, en remplissant  les reins, en étirant le dos en remplissant le dos et en fléchissant les genoux en direction de la pointe des pieds.
Ensuite, je demande à l’élève qu’il casse la structure correcte et qu’il le fasse franchement, en accentuant les erreurs. Je lui demande alors de se concentrer sur la différence de sensation entre une posture correcte et incorrecte. Puis, je l’encourage à refaire des essais, mais en réduisant à chaque fois l’intensité de ses erreurs, et en revenant toujours à la position correcte.
Avec cette méthode, l’élève devient conscient de la différence entre une posture correcte, et les sensations quelle induit, et une qui semble l’être, mais qui ne l’est pas suite à des défauts difficiles à observer visuellement et qui seulement peuvent s’apprécier au travers des sensations produites.
Un autre point est, par exemple, d’analyser le passage de changement de poids entre deux jambes et une seule . Ce point est vital, par exemple, pour faire un pas. La méthode est la même, d’abord faire prendre la posture correcte, puis lui demander de commettre des erreurs. Par l’expérimentation de ces différentes sensations, l’élève construit ses propres outils pour corriger ses erreurs.
Ensuite, cette recherche de sensation se pratique en parallèle dans la Forme et le Tuishou.
Dans la Forme, on devient rapidement conscient : de la facilité avec laquelle on perd la sensation recherchée, de l’importance de maintenir l’attention pleinement centrée sur ce que l’on fait et ce que l’on ressent, et comment l’on peut et l’on doit commencer à introduire de nouveaux éléments dans quelque chose de connu (c'est-à-dire  « la coquille »), qui sans être visibles la remplissent  et lui donnent son sens.
Dans le Tuishou, l’élève découvre l’importance du relâchement et  comme méthode d’apprentissage à investir dans la défaite au combat. Inéluctablement, avec son attention focalisée sur  « l’énergie du sommet du crâne qui doit être légère et sensible », c’est toujours l’adversaire qui gagne. Mais en même temps, l’élève découvre que tant que la sensation était présente, tout va bien, et c’est précisément quand on la perd qu’arrive la déroute.
Lorsque l’élève découvre comment la maintenir, il fait progresser parallèlement son côté martial, alors que la méthode utilisée est tout sauf martiale… a première vu.
Un autre aspect qui mérite d’être pris en compte, c’est la difficulté à mettre en pratique la première fois tous les principes devant un adversaire.
C’est pourquoi, en les travaillant dans la Forme, on fini par acquérir de nouvelles aptitudes. Il faut ensuite les vérifier en Tuishou, de façon à pouvoir constater notre progression ou nos erreurs de posture, que seule l’application réelle met en évidence.
Avec cette méthode, la Forme et le Tuishou se nourrissent mutuellement, jusqu’à devenir un tout unifié.
Bien que nous n’ayons développé qu’un seul des principes, la méthode peut être appliquée à d’autres, et approfondit suivant le degré de compétence de l’élève.
Par exemple, nous pouvons aborder dans le but de  remplir  la Forme, la notion de remplir les reins, laisser tomber les coudes, s’enraciner, se déplacer, étirer les tendons, pratiquer la fluidité et la continuité du mouvement, installer les spirales (Chanse Jing) etc.
Bien entendu, nous ne devons pas laisser de côté tout les autres outils à notre disposition, et en tant qu’occidentaux tout ce que la médecine, la physique, en définitive notre culture, peut apporter pour comprendre cette matière si complexe qu’est le Taiji Quan.

Antonio Leyva
Professeur de Taiji Quan,  a étudié le Penkat Sila et ensuite le Taiji Quan des styles Yang et Chen.

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